Unis par les liens sacrés de la Vie depuis 2,5 millions d’années, l’humain et la nature ne filent pas toujours un mariage heureux. Notre tort : se croire propriétaire de notre environnement, quand nous ne sommes qu’un vivant parmi les vivants. Mais les exemples de symbioses - c’est-à-dire de vie (sýn) ensemble (bíos) - entre l’humain et la nature se multiplient. Décryptage à l’occasion de la dernière rencontre Longue-vue organisée par la Cité de l’Économie et des Métiers de Demain.
Une table-ronde peut-elle être symbiotique ? Le 7 avril dernier, on avait envie de répondre oui. Rassemblant autour d’une même table - virtuelle - l’artiste engagé Olivier Darné, l’auteur-réalisateur militant Cyril Dion, l’ingénieure et autrice environnementaliste Isabelle Delannoy et le directeur artistique Vincent Cavaroc, la rencontre avait tout de l’« association durable et réciproquement profitable entre plusieurs organismes vivants ». Racontant tour à tour leurs histoires préférées du réalignement entre Humain et Nature, Olivier, Cyril, Isabelle et Vincent construisent un récit global dans lequel l’homme redevient un maillon nécessaire du fonctionnement des écosystèmes.
voir le replay de ces interventions
Dans “écologie”, il y a “vivant”
En 2015, Cyril Dion et Mélanie Laurent avaient fait sensation avec “Demain”, un tournage-enquête réalisé dans dix pays pour comprendre la catastrophe naturelle en cours, réalisé suite à l’annonce d’une vingtaine de scientifiques dans la revue Nature qu’une partie de l’Humanité pourrait s’éteindre d’ici 2100. Six ans plus tard, Cyril Dion s’apprête à remettre le couvert avec un nouveau film : Animal. « Avec demain, nous voulions sortir d’une forme de sidération qui conduisait à regarder destruction, pour proposer un autre récit et un autre horizon, rappelle Cyril Dion. Avec Animal, nous allons à l’étape suivante : celle du vivant. La question écologique est trop souvent cantonnée à la question climatique, ce qui la rend très technique et qui la réduit à des somme de calculs réalisés dans des tableaux Excel ». Convaincu par l’idée de Baptiste Morizot selon laquelle « le vivant nous a fait, et pas l’inverse », Cyril Dion présentera donc à la rentrée prochaine le travail de longs mois d’enquête sur ces situations où l’humain et la nature retrouvent un état de “symbiose”. Car après tout, en biologie, le terme « écologie » désigne avant tout l'interaction entre des organismes vivants et leur milieu de vie. « Si l’on admet que les autres espèces sont elles aussi des habitantes de plein droit, nous devons alors partager l’espace avec eux, or ce n’est absolument pas ce que nous faisons actuellement. Nous devons désormais construire des relations diplomatiques, des égards à ajuster avec le reste du vivant. D’ailleurs, notre paysage n’existerait pas sans les animaux qui l’occupent. Si les humains disparaissaient, les fourmis ne s’en rendraient pas compte ; par contre, l’inverse est faux ».
L’homme, un vivant parmi les vivants

Carte des observations de puma et lynx roux — Bay Area Puma Project
« La présence de ces prédateurs fait diminuer la population des cervidés, ce qui permet aux arbres - moins mangés - de se régénérer, mais aussi aux petits prédateurs - chats forestiers, lynx, renards - de s’alimenter des carcasses. Les renards étant aussi des frugivores, ils participent à disséminer des graines, ce qui encourage le retour d’une diversité végétale, et donc l’absorption de carbone par les arbres »
Cyril Dion.
En termes de symbiose, des projets plus locaux existent. À la fin des années 90, Olivier Darné, proclamé « art-griculteur » a décidé de poser une ruche sur un trottoir de Paris, autant pour produire du miel que pour faire germer un nouveau point de vue sur la question écologique. « On peut dire que c’est un miel de pays, un AOC du territoire, explique-t-il. Une ruche est un écosystème, qui est lui-même en lien avec les autres écosystèmes. Le miel, ce butin du ciel, est ainsi un indicateur de la richesse du territoire où il est produit ». Filant le projet, il crée ensuite des chambres de pollinisation XXL dans lesquelles il invite les passants. « Enfermer un humain dans une ruche et le positionner à 60 cm de 80 000 abeilles lui permet de passer de la peur à la curiosité, et de reconstruire une relation essentielle au spectacle de la nature ».

Restaurer les écosystèmes naturels
Mais la dynamique symbiotique ne se contente pas de rétablir les connexions entre l’humain et le reste du vivant : elle tire aussi parti du meilleur de ce que la Nature peut offrir, pour le mettre au service de tous.


L’homme, orchestrateur des symbioses
La force du concept de symbiose, c’est qu’elle n’oppose pas l’humain et son environnement. Dans chacun de ces projets où la Nature reprend ses droits, l’Humain ne s’efface pas, au contraire : il joue un rôle clé. « La Nature sait faire des choses mieux que l’Humain, mais l’Humain sait organiser ces choses, explique Isabelle Delannoy. Nous savons rapprocher des plantes qui auraient mis un temps infini à se rencontrer, créer des zones humides là où elles n’arriveraient jamais seules, etc. ».

L’économie symbiotique
Ce rôle de chef d’orchestre de l’environnement, ce devrait être celui de l’économiste. Après tout, la racine du mot économie - oikonomia en grec ancien - signifie littéralement “l’administration de notre maison commune”. Mais en 2021, notre économie montre tant de limites qu’elle doit être réinventée. « Pour assurer son rôle de catalyseur, l’Humain doit créer une économie symbiotique, basée sur la diversité et interactions pour produire une force régénératrice », résume Isabelle Delannoy, qui a dédié un livre au concept d’économie symbiotique.
Aux participants et spectateurs de la table-ronde, elle propose la lecture d’une lettre venue du futur de l’Occitanie, 15 ans après aujourd’hui : « La Région Occitanie a entamé un nouveau développement après la grande pandémie. Elle a déployé le modèle de la ville du quart d’heure, rendant pour les citoyens chaque service accessible à moins de 15 minutes à pied. Bureau et habitat sont désormais mixés, et des friches ont été réhabilitées pour accueillir les ateliers des artisans aux côtés de nouveaux logements et commerce, le tout entouré de jardins. D’ailleurs, on a tout verdi. Des jardins de pluie infiltrent l’eau pour éviter de redimensionner les égouts, et rechargent les nappes phréatiques tout en conservant son cycle. Des roseaux, de la menthe aquatique et des nénuphares ont été installés dans les bassins, ainsi que des fontaines, cascades et jets d’eau : tous ont une fonction, ils épurent les eaux usées. Une biodiversité sauvage est revenue, les paysages ont changé. Les habitants prennent spontanément moins leur voiture. À l’école, les enfants comptent les insectes et les oiseaux en collaboration avec une Université de recherche. (...) Avec la relocalisation des petits commerces, les euros circulent désormais dans la région. (...) Grâce à des plateformes de crowdfunding ou des systèmes d'acquisition de parts sociales, l’esprit coopératif s’est développé. Les citoyens ont notamment investi dans des flottes de véhicules partagés. D’ailleurs, on ne possède plus nos équipements, on en possède l’usage... ».
Parmi cette liste d'initiatives, la plupart existent déjà. En région Occitanie, plus de 2600 jardins sont par exemple mobilisés dans le programme de comptage des populations d’oiseaux par les particuliers. Le comptage des animaux permet le suivi de l’évolution des populations, ainsi que la mise en place de programmes de reproduction, comme celui mis en place en faveur du retour des vautours fauves dans les Pyrénées, dont la population a augmenté de 51 % depuis 2012.
Si Isabelle Delannoy a créé ce récit futuriste, c’est pour montrer le point commun entre ces pratiques régénératrices : toutes sont basées sur la diversité et les interactions. « Nous avons là une économie complète qui est apparue et qui s’appuie sur la symbiose, c’est-à-dire le mécanisme le plus puissant du vivant ».
Recevoir LEs prochaines actualités